BIENVENUE SUR LE BLOG DE PAPA GATO

24 octobre 2010

Ça va mieux en le disant...

Entre deux trains, juste sur le pouce, quelques mots, qui, je le sens, vont me soulager.
Voilà: Jose Tomas est un torero rare et exceptionnel. Nul doute là-dessus. 
Mais, cela ne l'autorise, aucunement, à pratiquer de tels tarifs, scandaleux et intolérables. Car, au-delà des financiers du mundillo, ce sont les spectateurs qui trinquent. C'est-à-dire, toi et moi, les cochons de payants. 
Marre, ras le bol, des individus-individuels-individualistes, qui cassent la chaîne! Pour jouer leur carte perso et se remplir les fouilles. Tout en déclarant que le fric n'est pas leur motivation. Ce que je veux bien croire, ce n'est pas la question. 
Mais à moi, à toi, l'argent, le flouze, l'artiche, le trèfle, le blé, les fifrelins, c'est notre souci majeur pour réussir à suivre le prix d'entrée aux tendidos, qui monte qui monte... Et on y arrive de moins en moins. 
Et bientôt, on regardera les corridas à la télé et tu seras bien obligé de t'y montrer, Jose, si tu veux qu'on ne te perde pas de vue. Alors, si tu penses que tu torées aussi pour nous, le moment est venu pour toi de prendre autant de risques avec ton portefeuille qu'avec les toros. Baisse tes prix, mon camarade! Les autres, les Castella, Juli, Morante, la cliquette des pas nombreux qui mènent grand train, ceux-là, ils suivront, bien obligés. Et si les empresas ne jouent pas le jeu, on s'en occupe.
Voilà. Ça va mieux. Les idoles sont aussi faites pour être brûlées. 
Ciao.

17 octobre 2010

"Qui a eu cette idée folle..."

Depuis une vingtaine d'années, les écoles taurines fleurissent en Espagne, en France, au Portugal, en Amérique latine. Elles forment les nouvelles générations de toreros et il est bien difficile, aujourd'hui, de dénicher de jeunes aspirants matadors qui ne viennent pas d'une de ces écoles.
Ces établissements de formation initiale sont-ils un bien pour la tauromachie? 
Il est indéniable que ceux qui en sortent y ont appris les bases du toreo. Ils ont un répertoire plutôt large et des recours techniques qui leur permettent de faire face aux situations courantes. Si nous comparons avec la décade 70-80, le savoir faire de ces jeunes d'aujourd'hui est plus développé que ne l'était, en règle générale, celui de leurs aînés, lorsqu'ils débutaient. 
Pourtant ces jeunes pousses mieux préparées ne donnent pas forcément de meilleurs toreros.  
La route est longue, les coups de cornes sont durs, la concurrence est sévère, la chance n'est pas systématiquement au rendez-vous et on ne fait pas toujours les bonnes rencontres au bon moment... De tous temps, ces cirscontances ont lourdement pesé dans la balance des espoirs envolés et des carrières brisées. Il en est de même aujourd'hui, bien entendu, bien entendu...
Ce qui semble plus singulier de notre époque et de ce type de formation, c'est l'uniformisation de la façon de toréer de ces jeunes gens. Pour faire bref (et un peu réducteur), on peut dire qu'ils toréent mieux mais pareil.
D'où vient ce formatage?
Il m'a été proposé, il y a quelques années, de donner des cours à des aspirants comédiens professionnels à Barcelone. J'ai été très surpris, en arrivant, de constater qu'un même type d'interprétation revenait sans cesse dans leurs propositions: une voix très retenue, une gestuelle minimaliste, un ton quotidien... J'ai compris, en voyant le nombre considérable de chaînes de télévisions catalanes, que leurs professeurs leur enseignaient un mode de jeu "télévisuel", adapté aux offres du marché... On ne leurs transmettait pas l'art du théâtre, hérité d'une  longue histoire et de la pratique de grands maîtres, l'art de s'adresser à une communauté d'hommes et de femmes rassemblés, mais on les préparait à exercer un métier, en devenant de bons professionnels, interprètes de feuilletons et dramatiques télés.
En s'adaptant au lois du marché, les professeurs veulent rendre un service à leurs élèves en leur donnant les chances de vivre de leur métier. Après tout, ce n'est pas leur faute si, aujourd'hui, en Catalogne (et ailleurs!), la télévision offre davantage d'emploi que la scène.  Mais, du même coup, ils confortent un système qui appauvrit et dévoie l'art de l'acteur, en l'asservissant aux parts de marché et à l'audimat.
Pas plus que le théâtre, la tauromachie ne peut se réduire à un métier. Ce sont des arts et le soucis de la rentabilité ne fait pas bon ménage avec eux.
Bien entendu, j'imagine qu'il existe, en matière taurine également, de bons pédagogues qui cherchent à allumer la flamme sacrée, artistique, poétique, unique de leurs disciples. Mais on peut craindre, au vu des résultats, que les écoles taurines veuillent produire des toreros qui "marchent". On s'est aperçu depuis quelques saisons que la passe dite "circulaire inversée", par exemple, fonctionne bien sur le public: il est indispensable que les écoles accompagnent son apprentissage d'une sérieuse mise en garde de ne pas la resservir à tort et à travers, même si apoderados, cuadrillas et parfois même empresas, la réclament à grand renfort de geste depuis la barrière.
Les écoles taurines ne sont pas le diable et ne les accablons pas de tous les maux, mais elles reflètent un système et à ce titre demandent d'être très attentivement observées.
Ce sont de formidables outils d'évolution, si on veut bien  leur accorder l'indépendance et la liberté dont toute formation d'artistes a besoin.
Elles occupent une position stratégique de premier plan qui peut leur permettre de jouer dans les prochaines années un rôle clé:  ressourcer l'art du toreo. En formant des toreros singuliers, originaux, affichant leur dimension artistique irréductible. En remettant, en quelque sorte, le torero au centre de l'arène.
La tauromachie a la possibilité de se servir de ses propres armes pour se redynamiser et retrouver un sens qui lui échappe. 
Et, si los señores commerçants de la corne... d'abondance veulent bien y regarder de près, il est de l'intérêt du système lui-même de pratiquer ce retour aux sources.

13 octobre 2010

Le temps des souvenirs (2): Les mystères du pharaon

24 avril 1976. Maestranza.
Pour la première fois de ma vie, j'assiste à une corrida à Séville.
Au cartel de ce jour, l'idôle absolue, incontournable, majuscule, de la capitale andalouse: Curro Romero. 
L'arène est pleine comme un oeuf. Le premier toro est déjà sur la piste. Après une réception prudente et une première pique banale, Curro s'avance lentement vers le toro. Un murmure enfle à chacun de ses pas: "Il va faire un quite!" Des "chuuuuuts" fusent de toutes parts et, peu à peu, chacun se tait dans une attente fervente. Curro s'immobilise à cinq mètres de la bête qui le fixe. Sur un cite, elle s'élance. Le silence est tel que l'on entend le galop des sabots sur le sable. Trois véroniques lentes vont déclencher de profonds olés. Mais ce qui se passe à la quatrième est absolument incroyable. Des milliers de rotules se tendent d'un coup et l'arène entière se retrouve debout en rugissant, alors que la musique retentit pour saluer cet évènement hors du commun: une demi-véronique d'anthologie.
Moi seul, je suis resté assis. Parce que je n'ai rien vu, je n'ai rien su voir. Des demis, j'en ai déjà regardé des centaines. De tous styles. Celle-là était ralentie, enroulée, belle, réussie... mais au point de provoquer ce séisme?! Je suis ahuri et un peu sonné. Un mystère vient de m'assommer.
Il me faudra beaucoup de discussions avec des aficionados sévillans, beaucoup de lectures, beaucoup de vidéos et, surtout, une profonde remise en question du regard que je portais sur l'arène, pour pénétrer le secret de cette fameuse demi et entrer, du même coup, dans les couloirs obscurs et ésotériques de la pyramide de la tauromachie inspirée, poétique.
Séville et Curro Romero m'ont ouvert les portes étroites de ce mystère pharaonique. Comment, par exemple, au coeur d'une course d'ennui et de fadeur, saisir l'envolée fugace de la cape d'un peon et la fêter comme le retour de l'enfant prodigue, au point de faire saluer son auteur sous une ovation de gala. Une passe et c'est la tauromachie entière qui se donne.
Séville sait voir le détail. Et par le détail précisément se manifeste l'essentiel. Nous sommes bien loin de la tauromachie ostentatoire des arènes de Madrid. Alors que le regard castillan a besoin de preuves, l'aficion sévillanne, elle, a des yeux de chat. Elle voit dans la noir. 

9 octobre 2010

Le temps des souvenirs (1): L'ombre du diable.

Le public de Las Ventas a toujours témoigné à Damaso Gomez une virile tendresse. Madrilène lui-même, spécialisé dans les corridas réputées dures, il faisait preuve de grandes capacités de lidiador et d'un grain de folie certain, qui le rendait parfois imprévisible. 
Sa vie fantasque, elle-même, en faisait un descendant direct des toreros des époques reculées où devenir matador relevait d'un goût de la marginalité, du défi et du romanesque. Alors, les hommes de lumières faisaient rêver au même titre que les héros de Dumas, Mérimée ou Hemingway.
Madrid, années 70. 
Ce jour-là de la San Isidro de 1974 ou 75, Damaso affronte, une fois de plus, les toros de Miura. Son adversaire, bien dans le type de l'élevage, dangereux à chaque instant, tête chercheuse, cou téléscopique et réflexes de chat, impose une tauromachie de défense et de châtiment. Ce que Damaso sait faire. Il s'y emploie de tout son grand corps dégingandé, aux jambes d'échassier. Sur son visage buriné, dont le nez, en coup de serpe, rappelle celui d'un autre Damaso, Gonzales cette fois, de grosses gouttes de sueur témoignent de l'effort et de la tension.
Alors qu'on se dirige vers un changement d'épée annonciateur d'une estocade libératrice, une scène hallucinante va se dérouler sous nos yeux ahuris. Damaso vient de jeter épée et muleta et, dos à la barrière, s'est agenouillé devant le toro. Ses omoplates se trouvent à cinquante centimètres des planches et sa poitrine à peu prés à la même distance des cornes. Sur les gradins le murmure s'amplifie. Il se transforme en clameur lorsque le torero saisit à pleines mains les cornes du miura... qui fait un pas en avant... le dos du torero frôle le bois de la talenquère. Et l'on assiste alors à un spectacle hallucinant: la bête, gênée par ces mains sur ses cornes, secoue la tête de droite à gauche pour s'en débarrasser, soulevant à chaque fois de quelques centimètres au dessus du sol le corps du torero, qui, tétanisé, reste figé en position agenouillée. On entend les broderies des épaulettes du costume racler le bois de la barrera. Des spectateurs du premier rang demandent à Damaso d'arrêter, lui assurant qu'il a assez prouvé, que ça suffit maintenant. Lui rit de toutes ses dents d'illuminé. Est-il shooté, délirant, inconscient, suicidaire ou tout simplement ailleurs, dans un monde où les notions de danger, de risque, de vie et de mort n'ont pas la même valeur que dans le nôtre. Il a enfin lâché les cornes; le toro, libéré, a reculé d'un pas, juste le temps pour le torero de se relever.
L'ovation qui a suivi n'appartenait pas au code des honneurs taurins. C'était un mélange de soulagement, d'admiration et du sentiment confus que cet homme avait franchi une frontière qui sentait le souffre.
On venait de voir toréer le diable.

7 octobre 2010

Courage et conviction.

Il semble que Jose Luis Zapatero, dirigeant socialiste espagnol, ne soit pas aficionado, alors que Mariano Rajoy, leader du Partido Popular, est un fervent défenseur des corridas. L'intérêt de Nicolas Sarkozy pour les toros n'a d'égal que celui de François Fillion, Roseline Bachelot, Alain Juppé, ou Christian Clavier...
La tauromachie contemporaine est-elle de droite?
Franco, en son temps, l'a beaucoup utilisée pour endormir le peuple. 
Mais il s'est beaucoup servi également du football, qui, à ce compte-là, serait de droite, lui aussi. 
On voit bien l'inconsistance de l'argumentation. D'évidence, la tauromachie n'est pas plus de droite que de gauche. 
On constate, par contre, en Espagne, qu'elle s'est convertie en un enjeu droite/gauche et la récente abolition catalane illustre, tristement, son instrumentalisation politique.
En France, face aux affirmations survitaminées d'une droite "décomplexée", force est de constater que la gauche d'aujourd'hui peine à afficher ses propres valeurs. D'où, vis à vis de la tauromachie, une petite valse-hésitation: un pas vers la défense des grands principes humanitaires et un pas vers le maintien des cultures populaires, un pas vers le rejet de la barbarie et un pas vers la reconnaissance des identités...
Mais n'oublions pas que dans le combat politique, il en en de même que face à un toro: l'hésitation vaut un coup de corne. Le meilleur moyen de s'en tirer consiste donc à s'engager. Cela demande de la conviction et du courage. C'est précisément ce que nous espérons... d'ici 2012.

4 octobre 2010

Inattendu J.M.

Juan Mora est un torero émouvant. Depuis toujours. Profond mélange de classicisme et d'inspiration, d'artiste et de lidiador, il a incarné la figure d'une belle authenticité mêlée à pas mal de romantisme.
C'est ce que l'on a miraculeusement retrouvé intact à Las Ventas, samedi dernier. Et l'on a pu alors mesurer dans ce triomphe à l'ancienne, ce qu'a perdu la tauromachie en 20 ans: l'inattendu.
C'est ce qui a fait exploser d'enthousiasme le public madrilène. Chaque passe était un pari lancé à l'harmonie, à l'équilibre et à la sécurité. Une invention. Une réussite précaire qui se rejouait à chaque instant. Il ne s'agissait pas ici d'un fort en thème prompt à résoudre les équations taurines les plus ardues, d'un ténébreux andalou aux senteurs de duende, encore moins d'un grand derviche enrouleur à l'image de ses cadets d'Extramadure. Non, nous avons vu un homme prendre rendez-vous avec lui-même, se tenir debout au centre du cercle et inventer de la lenteur, de l'immobilité et de l'audace.
Seul, Jose Tomas, a pris le relais de cette tauromachie de l'Homme. On dit de lui qu'il est un extra-terrestre. Et si, au contraire, J.T comme J.M, savaient encore le secret de se planter au coeur de l'humanité? Hommes, terriblement, totalement, superbement humains.