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11 août 2013

Monochromie

Tout avait bien commencé avec une ovation de gala pour Fandiño lors du paseo, témoignant de la côte d'amour du torero de Orduña, basque parmi les basques et enfant chéri d'une aficion largement représentée sur les gradins. Pour rester dans la note bascophile, le soliste se vit offrir par le maire de Bayonne un makila d'honneur et un jeune danseur l'accueillit d'un aurresku bien tempéré. Ce fut, à y repenser, le plus beau moment de l'après-midi: le matador, jambes écartées et campé tel un mâle guerrier couillu regardant face à lui ce danseur léger, par moment féminin, le gratifier d'une rituelle chorégraphie de bienvenue, alerte et gracieuse. Et pendant quelques instants, Fandiño fut le toro massif qui regarde et le danseur, le virevoltant torero qui décrit sur le sable de savantes et mystérieuses arabesques. 
                                     

Beau début sous les caméras de direct de Canal+ assurant la promotion de la ville, du Pays basque et de l'aficion française, assaisonnée d'une réponse basco-basque, à peine voilée, à la proche municipalité bilduienne de San-Sebastian/Donosti, qui, dans un cocktail bien connu d'animalisme et de nationalisme, vient d'interdire les corridas sur son territoire.
Ricardo Gallardo, l'éleveur, ouvrait sa grande gueule et son carnet de notes et le duo Moles/Muñoz faisait merveille au micro de la chaîne taurine espagnole.
Pour avoir regardé, le soir même, la retransmission en différé -histoire de vérifier si les gros plans révélaient ce qui nous aurait échappé in vivo - reconnaissons qu'elle fut réussie, à une légère glissade près. Manolo Moles, lors d'un reportage sur la ville, confondit la Mairie de Bayonne avec le casino local... Il est vrai qu'en ces temps électoraux on y joue gros jeu. En tout cas, preuve  est faite que Moles n'est pas joueur.
Tout avait donc débuté sous les meilleurs auspices. 
Deux heures et demi plus tard, nous déchantions devant les ruines de ce bel édifice médiatico-taurin.
Désastre ganadero. Six toros nullissimes - à des nuances prés que je renonce à faire vu l'extrême médiocrité de l'ensemble - manquant de race, de bravoure, d'allant, de caste, de mobilité, de noblesse... de tout ce qui fait un toro de combat et que l'on trouve habituellement, plutôt plus que moins, dans l'élevage de Fuente Ymbro.
Comment en arriver à ce naufrage, à cette insipidité sans rapport avec ce que l'élevage offre régulièrement? Comment se tromper à ce point, lors d'un évènement aussi attendu?
À l'issue de la course, durant la tertulia organisée par deux jeunes aficionadas, au Trinquet Moderne, à deux pas des arènes, (elle se tiendra régulièrement lors des courses bayonnaises à venir), le mayoral, Alfonso Vasquez, reconnaissait le fiasco, sans pouvoir (publiquement?) l'expliquer autrement que par la métaphore maraîchère et éculée des melons. Ouais.
Une corrida peut sortir mauvaise. Mais dénaturée à ce point, cela pose question. 
Surproduction (20 corridas et 12 novilladas vendues cette saison)? Tentative ratée de fournir, pour l'occasion, du "sur-mesure" au copain Fandiño? Écoulement à cette occasion de quelques "rossignols" (ce serait trop laid et stupide)?
Les hommes maintenant. 
Il y avait un prix à la meilleure pique, offert par les peñas taurines de la ville. Le comble de la parodie fut de trouver un triomphateur, dont je tairai le nom par pudeur. Il fut proclamé sous les sifflets et du coup, ce nouveau prix se discrédita aussitôt né. En fait de piques, nous eûmes des simulacres, des piques vrillées et mal placées, des mise en suerte bâclées par le maestro lui-même, sans arrêter le toro face au picador. Rien que de très banal et insignifiant. ¡Vaya premio!
Fandiño, pour finir. On sait ses qualités d'engagement, de courage. Les cornes passent tout prés et il ne rompt pas. Il n'a pas failli à cette réputation. 
Mais, en fait, il m'a déçu. Fandiño est un torero corto, de peu de répertoire, ce qui n'est pas un avantage pour un "un contre six". Il pourrait s'en tirer malgré tout si ce toreo basique atteignait une profondeur exceptionnelle; ce qui n'est pas le cas. 
En fait, on s'est un peu ennuyé et pas par la seule faute des toros. 
Par ailleurs, ces manières de lidiador en acier trempé manquent à mon goût singulièrement de souplesse, de finesse, d'une certaine fragilité - oserais-je dire d'une féminité - carence qui l'empêche de pousser le contre-ut. Fandiño m'est apparu comme le torero d'une couleur.



Enfin, ses faenas ont manqué d'enchaînement, comme s'il voulait absolument imposer sa volonté en rompant le (petit!) allant de ses opposants.
Autrement dit, et pour conclure, ce que Fandiño a montré à Bayonne ce samedi 10 août, ce sont ses limites. Il lui faudra acquérir souplesse, inventivité et profondeur s'il veut prétendre au premier rang. En est-il capable? La réponse dans deux ou trois saisons. 
En attendant, son entourage serait bien avisé de le faire renoncer à ces défis solitaires qu'il n'est pas encore en mesure d'honorer vraiment.

1 août 2013

Orthéziennes (2)

Il fallait bien de l'aveuglement, ou de la blasitude, où rester ébloui par le souvenir des sorties tonitruantes du même élevage à Parentis, ou tout à la fois, pour ne pas apercevoir des marques de caste sous les défauts de ces toros de Raso de Portillo: souvent bouche cousue et répondant aux sollicitations, d'une certaine mobilité malgré tout et parfois braves avec notamment un beau tercio de piques qui valut à Manuel Bernal de remporter le trophée Roger Dumont. Fermez le ban.



Côté défauts, le frein à main les retenait à moitié charge, on vit une querencia accusée du second - parfaitement nourrie, voire déclenchée, par la désastreuse brega de la cuadrilla aux banderilles - et une tendance des exemplaires les moins belliqueux à s'endormir sous l'effet soporifique des muletazos des trois nounours de l'après-midi. Car le problème vint d'abord de l'attitude des bipèdes. Pas d'envie, pas d'allant, pour certains pas assez de savoir-faire et beaucoup d'inhibition à la perspective d'affronter une corrida "dure"; on se serait cru à Madrid pour le solo victorinien de Talavante. Cache ta joie!
F. Robleño cède aux vieux démons qui fondent ses limites. De la technique et du coeur à revendre mais une petite ambition, peut-être un manque de confiance en sa réussite, l'empêchent de donner le coup de rein qui lui ferait franchir pour de bon la frontière des toreros vraiment reconnus, voire des figuras. De ce point de vue, il est l'anti-Fandiño. On le vit, hachant ses faenas, précipitant les muletazos, ne cherchant jamais à pousser le contre-ut... On peut être en-dessous d'un toro mais il est plus dangereux d'être en-dessous de soi-même (sans allusion crasseuse à sa petite taille). Tel Robleño qui, lorsqu'il se hisse à la hauteur du puissant torero qu'il porte en lui (à Ceret il y a deux ans) ne parvient pas à s'y maintenir. 
Morenito de Aranda m'a profondément déçu. Moins dans son incapacité hormonale à affronter le très dangereux cinquième, que dans sa posture, sa façon d'être, tout au long de la course, aussi fade, aussi terne que son costume. Rien à faire là, ce jour-là, devant ces toros, sur ce sable orthézien, sous ce soleil béarnais. 
Il est toujours étonnant de constater qu'un style joliment artiste qui embellit une faena donnée à un toro se prêtant au jeu devient grotesque, ridicule et outrancier lorsqu'il est obstinément infligé à un adversaire qui y résiste. C'est bien pour cela que les toreros artistes abrègent le combat face à des opposants récalcitrants. Oliva Soto tomba dans le panneau de vouloir envers et contre tout servir son gazpacho. Sans capacité d'adaptation, sa légèreté de lidiador, son inconsistance firent tomber l'intérêt en flèche et le torero dans les oubliettes de cet après-midi. 
Il fallut deux paires de banderilles posées par Luis Carlos Aranda pour nous rappeler qu'en tauromachie, si le toro est la donnée de base essentielle, tout, absolument tout, dépend de l'engagement des hommes. Cet tarde-là, il fit cruellement défaut.
Dire que la corrida fut remarquable, non, bien sûr. Mais elle m'intéressa par le comportement plein d'enseignement de ces toros de Raso de Portillo, élevage que je serai heureux de revoir à l'occasion.
À Orthez,  tout l'effort est mis sur le toro. Mais, en fin de compte c'est là que le bât blesse. Côté hommes, novilleros ou matadors de toros, les cartels sont faibles et c'est ce qui risque de compromettre la généreuse démarche des enfants de Fébus. Qu'on le veuille ou non la rencontre taurine se fait à deux, toro et torero. À sacrifier l'un pour l'autre, on la condamne. 
Les  efforts de l'organisation orthézienne pour lutter contre le courant de la facilité et du mercado sont louables. Mais comment résoudre la difficile équation qui consiste à équilibrer les plateaux toro-torero de la balance? Il faudra bien que les organisateurs trouvent une solution. Sinon... la pente est raide et on la descend plus vite qu'on ne la monte.