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10 août 2014

Langueur océane

Bayonne, samedi 9 août 2014: 
6 toros de Pedro Martinez Pedrés (Salamanque) de 540 à 688 kg,
pour: Paco Ureña, Jiménez Fortes, Juan Leal


Je lis, ce matin dimanche, les différents compte-rendus: André Viard, Zocato... et je m'étonne, en tant que spectateur de l'évènement, d'être passé à ce point à côté d'une corrida "fort intéressante"... durant laquelle, à la vérité, je me suis passablement ennuyé. 
Seule la reseña de Patrick Beuglot nuance, à mon avis assez justement, l'enthousiasme ambiant...
Conscient de mes insuffisances, je souhaite cependant soumettre ici quelques impressions premières, qui n'ont d'autres excuses qu'une passion qui me mène aux arènes depuis une cinquantaine d'années.

Pour commencer, le lot de toros de Pedro Martinez PEDRÉS, très bien présenté, m'a paru, dans son ensemble, plutôt faible. Certes, ils prirent le nombre de piques règlementaires, parfois bien légères, mais sans allant, ni combativité. Leur noblesse, leur candeur parfois devrait-on dire, pour la majorité (les 4/6) fit tourner leurs prestations à la fadeur. Quant aux deux exceptions, ils ne m'ont pas paru échapper à la mollesse de l'ensemble, avec quelques idées derrière la tête en plus. Autrement dit, un lot sans classe, sans rythme, vaguement complaisant parfois, vaguement avisé parfois. C'est cela: des toros vagues, en fin de compte bien adaptés aux langueurs océanes de cette fin d'après-midi ensablée.

Il a fallu l'engagement, souvent mal tempéré, des trois matadores pour créer des instants de risque, seules notes vraiment émotionnelles du spectacle. J'admire et salue leur courage et leur conviction.

Paco UREÑA aura attendu ses 32 ans pour devenir la nouvelle coqueluche du sud Sud-Ouest. Serait-ce parce que son nom, si proche d'Iruña (Pampelune en euskara), lui donne une certaine affinité basque? Alors qu'il est de Murcie? Je plaisante.
Classique, sérieux, mais sans contre-ut, il a "bien" toréé. Malheureusement sans toujours beaucoup de profondeur. Pour une raison précise: l'anticipation de la passe suivante alors qu'il n'a pas encore achevé celle qu'il est en train de réaliser. Il ne laisse pas résonner la passe, ce qui la prive de véritable profondeur et nous laisse un petit goût d'inachevé. Un peu comme si on interrompait un morceau de musique avant que le dernier accord ait totalement fini de sonner. 
Peut-être parviendra-t-il à poser son toreo? Peut-être trouvera-t-il en lui la nécessité de le déployer? Pour cela, il lui faudrait consentir la dimension PUBLIQUE de sa tauromachie. Car il me parait bien certain que ce qui l'inquiète davantage que le toro, c'est nous. Ce public qui lui fait peur et le tend, le précipite un peu, l'agite et lui crée un souci permanent qui empêche le laisser aller. 
Néanmoins, il est sorti par la grande porte.

Pour ce qui est de Juan LEAL - victime de la pression de l'enjeu en forme de quitte ou double qui marque sa saison (quite compromis, début de faena raté, diverses approximations et hésitations) - il m'est apparu déstructuré, voulant à tout prix imposer un toreo ojediste forcé et bancal, toréant plutôt mal sur les fondamentaux et affectionnant, au péril de sa vie, le combat de rue. Le courage d'un lion, l'engagement d'un mort de faim... Il torée, le diable à ses trousses. En état de siège. Un peu pénible à regarder car il ne tire pas des toros (surtout du sixième) ce qu'ils offrent et surtout parce qu'on craint un accident dont on pressent qu'il peut survenir à tout instant. 
Néanmoins, il a triomphé.

Quant à Saul JIMÉNEZ FORTES, il n'a pas vraiment su s'imposer, recourant au trémendisme pour convaincre. Mais, en même temps, il m'a agréablement surpris dans la partie sérieuse de son toreo, auquel il ne nous habitue pas souvent, préférant jouer la version taurine de Buster Keaton dans le Train Fantôme.

Venons-en maintenant à l'organisation proprement dite du spectacle. 
L'empresa a décidé le changement des clarines par des gaitas. "À la catalane" dit-on. Nous pourrions être séduits par l'originalité de l'initiative (les musiciens sont remarquables). Mais le rituel y perd et sa part dramatique s'effrite. Car les timbales et les clarines, dans leurs sonorités implacables et guerrières, ouvrent un espace tragique. Les gaitas par contre, légères, élégantes, n'ont plus cette fonction. Elles se contentent d'annoncer. Si elles ont une valeur forte, c'est sur le plan de l'identité basque du spectacle (et de ses racines historiques bayonnaises). Mais le déficit de dramatisation qu'elles amènent ne m'enchante pas.
Par ailleurs, le rythme du déroulement du spectacle est essentiel. Il lui faut être soutenu, comme à Madrid, ou Séville, ou Pamplona. À Lachepaillet, il est lent et mou. Que de temps pour amener en piste le panneau des poids, pour ordonner l'entrée du toro, pour ratisser la piste! Tout cela devrait être mené rondement. La notion de temps est essentielle dans une corrida: ponctualité du paseo, chronométrage de la faena... C'est que le temps, implacable, passe comme un train dans une arène, comme dans la vie. Et, face à cette brutalité de l'heure dite et imposée, le torero va chercher l'accord templé de la passe à la charge, la composition rythmée de la faena, pour précisément, élargir le temps, le dilater, avec ce sentiment rare de s'installer dans une passe pour toujours. 
Et puis, le pulsation du temps, le rythme, c'est la vie. La lenteur du rituel endort et quitte de l'importance. Conclusion: on écoute du jazz, on va voir les film de Tarantino, on observe les serveurs au moment du coup de feu, ou le service des urgences un jour d'hécatombe... en un mot - rapides et précis - on passe une vitesse.
Pour finir, l'orchestre. Certes, la finesse est recommandée pour jouir des subtilités d'un morceau. Mais, le pasodoble est une musique en relief qui sonne comme une gloire. Et dans une arène, nous avons besoin de cet engagement musical, de ce défi au silence, de cet enthousiasme. Nous ne sommes pas dans un kiosque, un soir de concert. Un peu de prise de risque en somme et de dépassement du pondéré, mesuré, raisonnable.

D'aucuns jugeront ces quelques lignes exagérées, par trop négatives. Ils auront raison. Qu'ils les oublient et les mettent sur le compte d'une aficion qui, tel le Bordeaux ordinaire, vieillit mal.
En attendant, à la vôtre!