Le public de Las Ventas a toujours témoigné à Damaso Gomez une virile tendresse. Madrilène lui-même, spécialisé dans les corridas réputées dures, il faisait preuve de grandes capacités de lidiador et d'un grain de folie certain, qui le rendait parfois imprévisible.
Sa vie fantasque, elle-même, en faisait un descendant direct des toreros des époques reculées où devenir matador relevait d'un goût de la marginalité, du défi et du romanesque. Alors, les hommes de lumières faisaient rêver au même titre que les héros de Dumas, Mérimée ou Hemingway.
Madrid, années 70.
Ce jour-là de la San Isidro de 1974 ou 75, Damaso affronte, une fois de plus, les toros de Miura. Son adversaire, bien dans le type de l'élevage, dangereux à chaque instant, tête chercheuse, cou téléscopique et réflexes de chat, impose une tauromachie de défense et de châtiment. Ce que Damaso sait faire. Il s'y emploie de tout son grand corps dégingandé, aux jambes d'échassier. Sur son visage buriné, dont le nez, en coup de serpe, rappelle celui d'un autre Damaso, Gonzales cette fois, de grosses gouttes de sueur témoignent de l'effort et de la tension.
Alors qu'on se dirige vers un changement d'épée annonciateur d'une estocade libératrice, une scène hallucinante va se dérouler sous nos yeux ahuris. Damaso vient de jeter épée et muleta et, dos à la barrière, s'est agenouillé devant le toro. Ses omoplates se trouvent à cinquante centimètres des planches et sa poitrine à peu prés à la même distance des cornes. Sur les gradins le murmure s'amplifie. Il se transforme en clameur lorsque le torero saisit à pleines mains les cornes du miura... qui fait un pas en avant... le dos du torero frôle le bois de la talenquère. Et l'on assiste alors à un spectacle hallucinant: la bête, gênée par ces mains sur ses cornes, secoue la tête de droite à gauche pour s'en débarrasser, soulevant à chaque fois de quelques centimètres au dessus du sol le corps du torero, qui, tétanisé, reste figé en position agenouillée. On entend les broderies des épaulettes du costume racler le bois de la barrera. Des spectateurs du premier rang demandent à Damaso d'arrêter, lui assurant qu'il a assez prouvé, que ça suffit maintenant. Lui rit de toutes ses dents d'illuminé. Est-il shooté, délirant, inconscient, suicidaire ou tout simplement ailleurs, dans un monde où les notions de danger, de risque, de vie et de mort n'ont pas la même valeur que dans le nôtre. Il a enfin lâché les cornes; le toro, libéré, a reculé d'un pas, juste le temps pour le torero de se relever.L'ovation qui a suivi n'appartenait pas au code des honneurs taurins. C'était un mélange de soulagement, d'admiration et du sentiment confus que cet homme avait franchi une frontière qui sentait le souffre.
On venait de voir toréer le diable.
SUPERBE !!!Jacques Durand n'a qu'à bien se tenir !
RépondreSupprimerPouhhh!!!J'en frissonne encore....
RépondreSupprimerAprès un texte pareil,on a très envie d'aller plus avant voir ce qui s'y passe, sur cette scène-là.Aussi.
Merci
Maité