Partons du principe, qui est le mien, que dans l'arène, on ne torture pas le taureau mais on le sacrifie. La corrida moderne s'inscrivant, ainsi, dans la continuité du sacrifice rituel et ancestral du taureau par les hommes.
Cette dimension sacrée qui passe par la mort publique d'un animal sacrifié, est-elle devenue ignoble? Ce regard sur la mise à mort, qui se vivait sans culpabilité il y a cinquante ans, est-il devenu insupportable aujourd'hui? A-t-on perdu le sens du sacré, au point que ce sacrifice ne puisse plus s'évaluer aujourd'hui qu'en terme moral? Notre vision de la vie s'est-elle si réduite que nous ne soyons plus que des juges? Avons-nous à ce point peur du mystère, de la part cachée, que nous éblouissions le monde d'une lumière implacable et sans ombre? Rejetons-nous à ce point la symbolique, qu'un bovin qu'on écrit T.O.R.O. soit le même animal que celui qu'on écrit T.A.U.R.E.A.U., sous prétexte qu'ils meurent tous les deux? La mort derrière un paravent est-elle plus acceptable que la mort à découvert? Le crépuscule en prison est-il plus enviable que le coup de feu en plein vol? La mort nous terrifie-t-elle tellement que nous ne la supportions plus qu'emballée, en barquette, transformée en viande de consommation? Est-il plus injuste de voir mourir un toro d'un coup d'épée porté par un matador plutôt que d'assister à l'agonie cancéreuse d'un homme qui a choisi de fumer? Un suicidé est-il moins à plaindre qu'un assassiné? Notre conscience humaine est-elle si funeste que nous devions en concevoir une culpabilité sans fin? Devons-nous passer notre temps de vie à réparer nos torts? Sommes-nous les Zorros de la création?
Alors, merde! Merde à vous, les bien pensants, les culs bénis, les ceux qui savent démêler le bien du mal, le vrai du faux, merde aux élus, aux généreux, aux responsables, merde aux aplatisseurs de bosses et aux combleurs de creux, aux évidents, aux propres sur eux, aux guides, aux éclaireurs, aux réalistes, aux non contradictoires, aux détenteurs de la vérité aux donneurs de leçons...
Oui, je vais voir mourir les toros le dimanche et je n'en conçois aucune culpabilité. Oui, j'aime les toros, leur beauté, leur combativité, leur danger et pourtant je vais assister à leurs sacrifices. Oui, l'arène, lieu rituel et sacré de la mise à mort, est en même temps le creuset qui m'apprend la vie. Oui, je regarde une corrida comme un miroir. Et je relis Michel Leiris qui m'a révélé le mystère que je percevais mais que je ne savais pas voir et dire. Oui, je suis religieux et je serai religieux ou je ne serai pas. Sans bondieuseries, mais dans le vif du sacré qui fait que chaque fois que l'on entre dans une arène on pénètre au centre du monde. Religieux parce que la tauromachie me met en présence d'un invisible qui donne du sens à ma vie, à la vie.
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