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7 novembre 2010

Le temps des souvenirs (3): La tauromachie au coeur.

Le printemps, déjà chaud, empourpre, de milliers de  coquelicots, la campagne sévillane. Le chemin défoncé et poussiéreux secoue la vaillante deux chevaux Citroën qui, après nous avoir conduit des bords de l'Adour aux rives du Guadalquivir,  nous entraîne, maintenant, à brides abattues - nous sommes en retard - à la finca de Don Carlos Urquijo. 
Hier au soir, à l'issue de la corrida, un bruit a couru dans les couloirs moquettés de l'hôtel Colon, quartier général du mundillo en cette feria d'avril: demain matin, Antonio Jose Galan tiente chez Urquijo. Chaque jour, à l'heure de l'apéritif, les rumeurs vont bon train dans le palace de la calle de Canalejas: adresses de tientas, de novilladas privées, rencontres, vraies et fausses annonces...
Arrivés devant la petite arène de tienta de la casa Urquijo, nous sommes accueillis par deux sbires qui s'informent de savoir qui nous sommes, d'où nous venons et pourquoi. Nous réalisons aussitôt que la tienta est très privée et que nous allons être refoulés. 
Nous mettons, alors, à exécution le plan que nous avons échafaudé entre ornières et nids de poule et déclinons une identité d'emprunt: journalistes français. Un silence surpris et suspicieux s'en suit. Ils appellent le patron. Nous nous réfugions dans une impassibilité teintée d'impatience. Le mayoral arrive, nous toise, hésite, et finit par nous inviter à monter au balcon de la placita de tienta nous recommandant lourdement de ne parler, bouger, réagir sous aucun prétexte.
Nous nous asseyons sur des bancs de fortune. On nous jette des regards froids et interrogatifs. D'évidence, nous ne faisons pas partie du sérail et nous avons tout intérêt à nous faire oublier. 
Quelques mètres plus bas, le maestro Antonio Jose Galan, en jean, sweat-shirt et tennis, est assis parterre. Visiblement fatigué, encore marqué par une blessure récente mal guérie, il a du mal à récupérer de son combat avec la vache précédente. Pourtant, on annonce la suivante et il prend place derrière le burladero. 
De la réception à la cape, des piques, je confesse humblement que je n'ai gardé aucun souvenir si ce n'est le vif plaisir qu'il y a à entrer dans l'intimité de la préparation d'un torero.
Le début de la faena de muleta révéla immédiatement de grandes qualités de bravoure de la bête et permit au torero de se sentir très vite à l'aise, a gusto. Machinalement, à chaque fin de série de passes, son regard balayait l'assistance et il ne tarda pas à y remarquer les seuls visages qu'il ne connaissait pas: les nôtres. 
Il se passa alors un phénomène tout à fait extraordinaire. À partir de cet instant, Antonio Jose Galan toréa pour nous, pour nous séduire. Il enchaîna les séries les yeux tournés vers nous, nous souriant de toutes ses dents. Peu à peu oubliant les consignes, nous ponctuâmes la faena de quelques "olés" bien sentis. Nous n'étions plus dans une placita privée mais à la Maestranza a las cinco de la tarde. Les manoletinas, succédaient aux molinetes debouts et à genoux, aux circulaires et autres dosentinas. 
Nous applaudissions frénétiquement. Et le reste de l'assistance emboîta le pas. Le torero était aux anges, nous aussi. Superbe moment d'enthousiasme partagé autour d'une passion. Il est à parier que s'il y avait eu estocade, elle aurait été sans muleta, spécialité de ce "fou de Galan".
On rentra la vache, Galan épongea son visage en sueur, nous gratifia d'un dernier sourire accompagné d'un salut "muy torero" . Avant de grimper sur sa moto et de filer sur le ruban d'asphalte où la mort l'attendait trente cinq ans plus tard.
Je revis de nombreuse fois Antonio Jose Galan et je garde de lui de beaux souvenirs. Mais aucun n'atteint l'intime intensité de ces quarante minutes de tauromachie privée, ce matin d'avril 1976, dans la gloire du printemps andalou.

4 commentaires:

  1. J'entends souvent parler d'Urquijo mais je ne vois jamais ce nom sur les cartels. Cette ganaderia n'existe plus ?

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  2. Exact. Ce fut un grand nom. Je ne sais pas si la ganaderia a été reprise. Je me renseigne.

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  3. Il semble qu'en 1980 Carlos Urquijo vendit sa ganaderia à Antonio Ordoñez qui la vendit lui-même à Jose Murube, en 1984.

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  4. 2 corridas cette année, dont une pour figuras : http://www.terredetoros.com/maquette1.php3?l=77&page=6&a=2010

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