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8 décembre 2010

Le temps des souvenirs (4): "L'éclair me dure"

Fin mai 1976, plaza de Las Ventas, archicomble, pour assister à la traditionnelle miurada que la vedette madrilène de l'époque, Angel Teruel, a décidé d'affronter. 
À ce moment de sa carrière, le torero est au sommet de son art et surtout de sa puissance technique. Qui l'a vu toréer, alors, se souvient, immanquablement, de ses petits pas comptés, à reculons, entraînant savamment les adversaires récalcitrants dans les plis de sa cape. Soumettre avec douceur, mesure et élégance, telle est sa façon. Madrid en raffole. 
En cette journée printanière, presque estivale, quand Angel se glisse derrière le burladero pour attendre son premier opposant, le fameux "run-run" parcourt les gradins. On attend l'exploit, on écarquille les yeux, on ne veut rien perdre; ce n'est pas tous les jours qu'une figure de cette dimension s'affiche devant un des élevages les plus redoutés, dans le cathédrale de la tauromachie. Un défi, un geste d'honneur qui appelle l'Histoire.
Le Miura qui sort est un Miura, un vrai de vrai, pas une plaie d'Egypte mais pas, non plus, une petite poire au sucre. Une Formule 1 de 600 kilos, longue comme un quinquennat, armée comme un coréen du nord, franche comme un Bernard Tapie... Angel Teruel, sûr de lui comme un chirurgien opérant sa millième appendicite, sait apprivoiser sa confiance à la cape à force de mesure. L'intelligence imposant son ordre à la sauvagerie brutale. C'est ainsi que l'animal arrive mûr pour être cueilli dans la muleta de notre Ange. Entendons-nous: l'erreur n'est pas permise. L'harmonie peut être rompue, perdue, anéantie pour toujours, au moindre faux pas: un coup de corne dans la muleta mal conduite suffirait à réveiller les vieilles querelles et à déterrer  la hache de guerre. Cela n'arrivera pas.
Peu à peu, au fil des passes, Angel, le fragile et le gracieux Angel, va se métamorphoser en un colosse du temple, les pieds enracinés dans le sable, la tête dans l'azur, gigantesque.
C'est alors qu'au faîte de la faena, lors d'une miraculeuse série de naturelles, a pris naissance l'incantation, qu'elle a grandi, s'est amplifiée, et qu'elle est devenue immense, immense comme un océan de milliers de voix: "Toreeeero! Toreeeeero! Toreeeero!". Je ne l'avais jamais entendue auparavant. Il m'a été donné de la réentendre, quelques  fois, depuis. Mais jamais avec cette intensité et cette ferveur. A Madrid, où la musique ne joue pas, elle était devenue l'accompagnement sonore de la passe, sa respiration.
Louée soit la tauromachie qui offre de ces moments inouïs!
À la fin de la faena, les yeux brillants, les poils hérissés, le coeur au bord des lèvres, nous étions au centre du monde et ces quelques minutes nous avaient, nous aussi, transformés. Nous avions convoqué et partagé la révélation d'un mystère, qui, sans dire son nom, nous habitait désormais.
Et depuis, trente-cinq ans plus tard, "l'éclair me dure".

3 commentaires:

  1. Un week end de mai à Madrid s'impose pour féter ce 35ème anniversaire !!!

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  2. Le prochain "Temps des souvenirs" sur Antonio Jose Galan peut être ... ???

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