BIENVENUE SUR LE BLOG DE PAPA GATO

31 décembre 2010

En plissant les yeux...

Je plisse les yeux devant un paysage. Ne s'en dégagent alors que les couleurs et les formes dominantes. De même, aujourd'hui 31 décembre, en plissant les yeux sur l'année taurine 2010, je distingue quelques traits saillants au milieu d'un épais brouillard.
Car, ce qui frappe, d'abord, c'est bien la purée de pois qui recouvre et uniformise le panorama. Des passes, des passes et des passes, des changées dans le dos, des circulaires inversées, et inversées, et inversées, et inversées et inversées, des jambes exagérément écartées, des ceintures tortillées, et des julipieds, des julipieds, des julipieds, et des cornes plus ou moins intactes, et des kilos plus ou moins musclés, et des trots lourds et des chutes, et des chutes, et des chutes, des langues pendantes, des monopiques, des immobilités avachies, et des novilleros sans imagination, et des écoles formateuses, et des non piquées sans goût et sans saveur, et des spectacles "promotionnels" qui sont des enterrements, et des figuras-comptes-en-banque qui défient davantage le marché que les toros, et des cartels à répétition et des triomphes à bon compte, et la plus grande arène du monde devenue radeau de la méduse, et des mise en packs-télé, en direct, en différé, en internet, en video, en you tube, dailymotion ou justin... et du désintérêt, de l'ennui, des minutes entières à regarder le tendido d'en face, à penser à autre chose, à ne rien trouver à dire à son voisin, à se demander ce qu'on fait là, si on aime toujours la corrida, si on ne serait pas mieux à la plage ou au cinéma ou dans son jardin, en tous cas pas là, pas ça...
Et puis se détachant, comme des îles sur un ciel vide, quelques fulgurances, de celles qui justifient le voyage: Morante, assis sur une chaise nîmoise, à attendre la mort de son compagnon, qui va clôturer le chef d'oeuvre qu'ils viennent de créer ensemble; une véronique dacquoise à 360° de El Juli; l'enracinement de Jean-Baptiste dans le sable de Las Ventas; l'affrontement glorieux de Julien et d'Adulador en terre basque de Lachepaillet; la résurrection automnale de Juan Mora, dix ans après Jaen...
Et puis,  trois, quatre images qui empêchent de dormir... un chemin de sang dans le callejon d'Aguascalientes; une corne sortant d'une bouche comme un Alien; un banderillero assis sur le sable, les bras ballants, qui regarde la vie s'échapper par les trous de sa jambe...
Et enfin, quelques moments de haute humanité: Jose Tomas chantant, faux mais fort, une ranchera avec Hector, jeune handicapé mental; le clin d'oeil complice et joueur de Juan Mora à son fils entre deux séries de naturelles renaissantes; le sourire reconnaissant si humble d'Adrian Gomez, depuis son fauteuil roulant de sinistré de l'arène; les pleurs d'exilé de Serafin le jour funeste du vote catalan...
Voilà ce qui me reste, en plissant les yeux, comme ça, en une seconde. Sûrement, en prenant le temps, d'autres souvenirs s'imposeraient-ils... mais ces quelques images sont le terreau de mon aficion. Ce qui reste une fois tout oublié. Pour commencer l'année nouvelle.
Bon réveillon.

25 décembre 2010

Trouvé au pied du sapin...

Parole d'un fan sévillan de Curro Romero, 
au soir du cinquième et dernier naufrage de l'idole, 
lors d'une Feria d'Avril :
"Curro, on ne l'aime pas pour ce qu'il fait 
mais pour ce qu'il pourrait faire" 
A méditer...

Joyeux Noël à toutes et tous.

22 décembre 2010

L'art d'être naïf.

Plusieurs voyages en vidéoland, ces derniers jours, m'ont permis de réaliser quelques plongées dans la tauromachie du milieu du siècle dernier en compagnie des Arruza, Manolete et autres Dominguin. 
Des toros de présentation mesurée, dont il est difficile de juger de la résistance et du comportement à travers des extraits, en tout cas peu exceptionnels... mais, par contre, des toreros défiants et des spectateurs enthousiastes et passionnés. 
La différence avec notre époque semble bien moins résider dans la qualité des toros que dans l'engagement des toreros et du public. Ce sont les hommes qui ont changé, davantage que les animaux.
On sait que la consommation taurine, le commerce, l'affinement des esthétiques, ont induit une évolution du toro qui dérape souvent vers une dégénérescence. On n'ignore pas non plus que les trois toreros cités plus haut ont leur responsabilité dans cet état de fait.
Mais, ce qui saisit, en regardant les documents d'archives, c'est la capacité de ces hommes - toreros et spectateurs confondus - à s'enflammer. Arènes survoltées, chapeaux balancés, colères gesticulantes, incendies provoqués, toreros s'auto-proclamant numéro un, rivalités et amitiés affichées, destins ensanglantés, mythes vivants, stars séduites, écrivains, peintres, cinéastes, acteurs et actrices en barrera...
La tauromachie était une épopée et un roman. Sur le mode de la passion , elle suscitait les enthousiasmes et nourrissait les imaginaires.
Il semble qu'aujourd'hui les élans soient plus retenus. La société du spectacle, avec sa communication outrancière, désamorce les naïvetés, retient les emballements et éteint l'esprit de curiosité. Blasés, saturés d'images et de sensationnel, on ne s'étonne plus. On consomme.
Pourtant, il ne tient qu'a nous de réveiller les passions, les convictions, les désirs et que nos joues, un peu pâlottes, s'empourprent à nouveau.
En ces temps de Père Noël, auquel Jean Cau disait que les aficionados croient tous les dimanches à cinq heures, sachons rappeler en nous cette part d'enfance sans laquelle la vie n'est qu'un livre déjà lu.

8 décembre 2010

Le temps des souvenirs (4): "L'éclair me dure"

Fin mai 1976, plaza de Las Ventas, archicomble, pour assister à la traditionnelle miurada que la vedette madrilène de l'époque, Angel Teruel, a décidé d'affronter. 
À ce moment de sa carrière, le torero est au sommet de son art et surtout de sa puissance technique. Qui l'a vu toréer, alors, se souvient, immanquablement, de ses petits pas comptés, à reculons, entraînant savamment les adversaires récalcitrants dans les plis de sa cape. Soumettre avec douceur, mesure et élégance, telle est sa façon. Madrid en raffole. 
En cette journée printanière, presque estivale, quand Angel se glisse derrière le burladero pour attendre son premier opposant, le fameux "run-run" parcourt les gradins. On attend l'exploit, on écarquille les yeux, on ne veut rien perdre; ce n'est pas tous les jours qu'une figure de cette dimension s'affiche devant un des élevages les plus redoutés, dans le cathédrale de la tauromachie. Un défi, un geste d'honneur qui appelle l'Histoire.
Le Miura qui sort est un Miura, un vrai de vrai, pas une plaie d'Egypte mais pas, non plus, une petite poire au sucre. Une Formule 1 de 600 kilos, longue comme un quinquennat, armée comme un coréen du nord, franche comme un Bernard Tapie... Angel Teruel, sûr de lui comme un chirurgien opérant sa millième appendicite, sait apprivoiser sa confiance à la cape à force de mesure. L'intelligence imposant son ordre à la sauvagerie brutale. C'est ainsi que l'animal arrive mûr pour être cueilli dans la muleta de notre Ange. Entendons-nous: l'erreur n'est pas permise. L'harmonie peut être rompue, perdue, anéantie pour toujours, au moindre faux pas: un coup de corne dans la muleta mal conduite suffirait à réveiller les vieilles querelles et à déterrer  la hache de guerre. Cela n'arrivera pas.
Peu à peu, au fil des passes, Angel, le fragile et le gracieux Angel, va se métamorphoser en un colosse du temple, les pieds enracinés dans le sable, la tête dans l'azur, gigantesque.
C'est alors qu'au faîte de la faena, lors d'une miraculeuse série de naturelles, a pris naissance l'incantation, qu'elle a grandi, s'est amplifiée, et qu'elle est devenue immense, immense comme un océan de milliers de voix: "Toreeeero! Toreeeeero! Toreeeero!". Je ne l'avais jamais entendue auparavant. Il m'a été donné de la réentendre, quelques  fois, depuis. Mais jamais avec cette intensité et cette ferveur. A Madrid, où la musique ne joue pas, elle était devenue l'accompagnement sonore de la passe, sa respiration.
Louée soit la tauromachie qui offre de ces moments inouïs!
À la fin de la faena, les yeux brillants, les poils hérissés, le coeur au bord des lèvres, nous étions au centre du monde et ces quelques minutes nous avaient, nous aussi, transformés. Nous avions convoqué et partagé la révélation d'un mystère, qui, sans dire son nom, nous habitait désormais.
Et depuis, trente-cinq ans plus tard, "l'éclair me dure".

2 décembre 2010

Hiver taurin

L'été émigré en Amérique latine, nous voici dans l'hiver taurin européen. 
Toreros envolés, toros au vert, négociants en voyage, cuadrillas en recomposition, aficionados internétisés, bronzages délavés, chapeaux de paille au clou, chemisettes manchelonguées, mouchoirs blancs à la lessive, odeurs de cigares dissipées, talenquères repeintes, arènes relookées, émissions interrompues, bandas en répétitions, torils vidés, corrales lessivés, horloges arrêtées, taquillas désertées, drapeaux pliés, tiroirisés, naphtalinés, affiches décollées, buvettes désolées, clarines bouchées, habits de lumières éteints, mules désenrubannées, épées huilées, infirmeries empaquetées, chapelles frigorifiées, souvenirs radotés, videos vidées, bouquins épuisés,
Et Jose Tomas toujours muet.